Cadillac Seville 1980-85 : retour en arrière
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Cadillac Seville 1980-85 : retour en arrière
Si la première génération de Cadillac Seville avait réussi à faire comprendre aux Américains que plus gros n’était pas forcément mieux, la seconde génération va enchaîner les faux pas et faire régresser le modèle sur le marché : style controversé, moteurs affreux et personnalité mal définie. Rien que ça…
Lancée en 1975 pour rivaliser avec les véhicules de luxe importés d’Europe, la première génération de Seville a été globalement bien accueillie. Basée sur une plate-forme fortement retravaillée de Chevrolet Nova, elle était le modèle le plus cher de Cadillac (hors limousine Série 75). Quand vint le temps de la renouveler, les planificateurs de GM firent face à un dilemme : fallait-il simplement faire évoluer le concept ou bien tenter quelque chose de différent histoire de résister à une concurrence toujours plus agressive?
Une vieille idée remise au goût du jour
Afin de comprendre les origines du design de la seconde génération de Seville, il faut remonter à 1967. À ce moment, Bill Mitchell, vice-président responsable du design de General Motors depuis décembre 1958, commence à expérimenter avec l’idée du rétrodesign, ou plutôt un design hommage aux formes du passé, en particulier les années 30. La Buick Riviera - qui doit sortir pour 1971 avec son arrière boattail - arbore des lignes inspirées des Auburn 851 Speedster 1935 (une thématique similaire déjà utilisée sur la Corvette C2 de 1963). Concernant la nouvelle Eldorado, prévue pour 1971, il veut quelque chose qui ait l’air cher. Il charge le directeur du studio avancé de Cadillac, Wayne Kady (un nom prédestiné s’il en est un!), de faire des esquisses basées sur les Rolls-Royce des années 50, notamment celles réalisées par le carrossier Hooper. Sortent alors plusieurs dessins déjà annonciateurs de l’arrière dit bustleback (que l’on peut traduire par arrière agité ou arrière effervescent). Mais la direction de GM décide d’aller sur un véhicule plus gros pour l’Eldorado, les plans de Mitchell tombent à l’eau et Kady créera le style de l’auto, de façon plus classique.
Wayne Kady a commencé sa carrière chez GM en 1961 et, fin 1972, il est nommé designer en chef de Buick. Il n’y reste pas longtemps et prendra le même rôle, mais cette fois chez Cadillac, de 1974 à 1988. Après, il retournera chez Buick jusqu’à sa retraite en 1999. Mais avant d’être muté chez Buick en 1972, il travaille déjà sur la première génération de Seville. Son concept est l’un des deux présentés à la direction. Baptisé LaSalle (en hommage à une marque compagne de Cadillac, produite de 1927 à 1940), on retrouve déjà un arrière semi-fastback. Ce dernier est traité de façon un peu plus conventionnelle que la Seville deuxième du nom. À son retour chez Cadillac, le studio est en train de finir les modèles pleine grandeur de 1977, qui doivent subir un downsizing. Les prochains véhicules sont l’Eldorado et la Seville, respectivement prévus pour 1979 et 1980. Kady dépoussière ses croquis et suggère un arrière bustleback pour l’Eldorado. Ed Kennard, le directeur général de Cadillac, s’y oppose. En revanche, Bill Mitchell aime bien l’idée. Ce dernier sait que sa retraite approche (planifiée en juillet 1977) et souhaite partir sur un modèle original. Il pousse pour que l’arrière de Kady se retrouve sur la Seville et parvient à vendre le concept à la direction de GM.
Les avantages de la traction avant
L’autre changement majeur, c’est le passage à la traction. À ce moment, cette technologie est vue comme l’avenir (car elle permet de réduire le poids et donc la consommation). Elle est employée chez Cadillac sur l’Eldorado depuis 1967 avec un châssis commun avec l’Oldsmobile Toronado, lancée en 1966. Pour 1979, l’Eldorado et la Toronado partagent également leur châssis E-Body avec la sixième génération de Buick Riviera. Bien qu’elle repose sur une nouvelle plate-forme (qui garde néanmoins la dénomination K-Body), les dimensions de la Seville 1980 restent très proches de celles du modèle 1975.
La principale différence est effectivement au niveau du poids, avec un gain de 86 kilos. La suspension avant utilise des barres de torsion tandis que l’arrière repose sur des ressorts hélicoïdaux conventionnels. L’autre avantage de la traction avant est d’offrir un intérieur plus habitable, notamment grâce à un plancher plat. Même le coffre est plus volumineux (passant de 362 litres à 411)… et pourtant, il n’en a pas l’air. Il reste maintenant à parler des moteurs.
Le trio de l’enfer !
C’est bien simple : la Seville de seconde génération va hériter de trois des pires moteurs de l’histoire de General Motors. Commençons par le diesel. Baptisé LF9, ce bloc était déjà apparu sur la Seville en 1979. Mais pour 1980, il est en monte standard pour la première fois sur une automobile américaine. Conçu par Oldsmobile, il repose sur les plans de base du 350 pouces cubes (5,7 litres) à essence de la division. Si le bloc a été renforcé, les ingénieurs ont gardé le même dessin pour la fixation des culasses ainsi que les mêmes vis. Qu’imaginez-vous qu’il se passe alors que le taux de compression part de 8,0:1 en essence pour atteindre 22,5:1 en diesel? De gros problèmes évidemment! De plus, les premières années, GM avait décidé de ne pas installer un séparateur d’eau sur la ligne à essence, entraînant une corrosion rapide des injecteurs. Bref, même s’il sera produit jusqu’en 1985, ce moteur sera une catastrophe et arrêtera net les élans de diéselisation en Amérique du Nord. Il sera également l’objet d’une action collective qui obligera la société à rembourser jusqu’à 80% des coûts pour un nouveau moteur. Et ne parlons pas des performances! Avec seulement 105 chevaux, le magazine Road & Track parvient à réaliser le 0 à 60 mph en… 21 secondes!
En 1981, Cadillac présente une merveille de technologie : le V8-6-4, basé sur le 368 pc (6,0 litres) L61 standard de la marque. Ce bloc, comme son nom l’indique, peut fonctionner sur 8, 6 ou 4 cylindres selon la charge. Par exemple, si l’auto roule sur autoroute à vitesse stabilisée, le système désengage 4 des 8 cylindres (un voyant au tableau de bord signale le changement). Pour accomplir cet exploit, le système interface de nombreux capteurs (allant de la pression dans le collecteur d’admission au régime moteur en passant par la température du liquide de refroidissement) avec un calculateur « capable de réaliser 300 000 calculs par seconde », comme se vantait à l’époque le constructeur. Il activait un solénoïde qui verrouillait mécaniquement les culbuteurs, empêchant l’arbre à cames d’actionner les soupapes des cylindres qui n’étaient plus nécessaires. L’air enfermé à l’intérieur des cylindres désactivés permettait d’amortir les sensations d’à-coups et de garder les cylindres à température jusqu’au prochain engagement. Sur le papier, cela autorise une réduction de la consommation d’essence allant jusqu’à 30%. Une économie très importante en ces temps où la norme CAFE devient de plus en plus restrictive.
Le problème, c’est qu’au bout du compte, le calculateur s’avèrera massivement sous-dimensionné pour la tâche qui lui incombe. Le système n’est pas assez rapide pour répondre aux sollicitations du pied droit du conducteur. À l’accélération ou à la décélération, la modulation de puissance se fait en retard et il est pratiquement impossible de conduire en douceur (un comble pour une Cadillac!). Les systèmes d’injection et de désactivation se mélangeaient entre eux et ne savaient finalement pas dans quel état était le moteur. À certaines vitesses, le moteur semblait chercher en permanence quel nombre de cylindres activer ou pas, un peu à la manière d’une transmission automatique qui n’arrive pas à choisir le rapport approprié. Le calculateur recevra 13 reprogrammations de mémoire, sans effets visibles. Exaspérés, les propriétaires débrancheront tout simplement le système pour rester sur 8 cylindres en permanence. Cadillac ne commercialisera ce moteur qu’un an, qui lui fera une (autre) publicité exécrable. Il faudra attendre 2005 pour que GM ressuscite l’idée avec succès. Le système, baptisé DoD (Displacement on Demand), demandera beaucoup, vraiment beaucoup, plus de puissance de calcul pour arriver à désactiver seulement la moitié des cylindres.
Tout aurait dû rentrer dans l’ordre quand Cadillac lança en 1982 son V8 de nouvelle génération, le HT 4100 (Haute Technologie 4,1 litres). Doté d’une injection électronique très sophistiquée pour l’époque (et pourtant la puissance ne dépassait pas les 135 chevaux), il combinait un bloc en aluminium avec des têtes en fonte. Malheureusement, cette construction hybride entraînera la défaillance de nombreux joints de culasse. Le bloc en aluminium n’était pas assez costaud et plusieurs composants (dont la pompe à huile) se montreront peu fiables. Malgré cela, Cadillac utilisera ce V8 (d’abord en 4,1 litres, puis 4,5 et enfin 4,9) jusqu’en 1995.
Cadillac offrira d’autres moteurs (voir tableau ci-dessous), mais rien de particulièrement excitant ou intéressant ne propulsera les roues avant de la Seville de seconde génération.
Toute garnie ou presque
Et pourtant, tout semblait bien commencer. À l’automne, lors d’une convention de concessionnaires à Long Beach, en Californie, la Seville reçoit une ovation. La présentation aux médias se passe plutôt bien. Certains adorent les lignes, d’autres détestent mais, globalement, Cadillac est saluée pour son audace stylistique. Même le Guide de l’auto, dans son édition de 1980, paraît séduit et conclut son essai (de la version à essence de 6,0 litres) par ces mots : « La Cadillac Seville 1980 est sans contredit la première voiture de luxe américaine capable de concurrencer certains modèles européens de la même catégorie. Elle est d’une conception très moderne par rapport à ce qui s’est fait dans le passé et bien qu’elle conserve toujours le comportement typique des voitures américaines souples et confortables, le bilan de ses aptitudes sur la route lui est très favorable. Ses gadgets électroniques en font une sorte de prototype de la voiture de l’avenir et, nul doute que dans l’histoire de Cadillac, elle viendra se joindre à quelques autres modèles qui ont fait époque ». Le Guide relève cependant que le bloc diesel est anémique (d’autres signaleront qu’il vibre beaucoup, n’est pas très silencieux et que ses chiffres de consommation ne sont pas terribles) et que la finition est imparfaite.
Ce qui est tout de même dommage pour le modèle le plus cher de la gamme Cadillac. Car, par rapport à 1979, les prix ont augmenté de près de 30%, ce qui ne va pas aider les ventes. Toutefois, comme avec la précédente génération, l’équipement de série est complet : boîte automatique THM-325 à 3 rapports, direction assistée, freins à disque aux quatre roues, correcteur électronique de niveau sur l’essieu arrière, ordinateur de bord avec diagnostic, climatisation électronique, régulateur de vitesse, rétroviseurs électriques, vitres électriques, condamnation centrale, volant télescopique, vitres teintées, radio AM/FM avec syntoniseur électronique… Il est possible de choisir parmi 16 couleurs de carrosserie. Dans la liste des options, l’acheteur peut sélectionner l’intérieur en cuir (10 coloris), le toit ouvrant, la peinture métallisée Firemist (5 couleurs offertes), un choix de radios avec lecteur cassette et/ou CB 40 canaux, le système d’alarme, le groupe remorquage ou une suspension Touring plus sportive… mais qui n’entrera vraiment en production qu’en 1982 (et que très peu de clients sélectionneront).
La variante huppée, baptisée Elegante, comprend une peinture deux tons (séparés par une barre de chrome sur toute la longueur, absente des modèles de base) offerte en trois combinaisons de couleurs. À l’intérieur, les sièges avant sont divisés par une large console centrale avec des espaces prévus pour ranger un parapluie et un magnétophone d’écoute à cassette. Le tout est recouvert de cuir beige clair ou gris ardoise.
Entre un style clivant, une augmentation de prix significative, un diesel pas convaincant et le second choc pétrolier qui vient de se déclarer, les ventes de Seville baissent de près de 26% par rapport à 1979 (voir tableau de production ci-dessous). L’enthousiasme initial de Cadillac est vite refroidi…
Et ça repart!
Pour 1981, l’offre de moteurs est modifiée (voir tableau ci-dessus) et un petit becquet est ajouté sous le pare-chocs avant dans le but d’améliorer l’aérodynamisme. La séparation de chrome de l’Elegante est installée sur tous les modèles. Comme l’explique Wayne Kady : « Les designers trouvaient que la Seville avait l’air bizarre sans ». Une quatrième combinaison de couleurs est disponible sur l’Elegante, un tableau de bord à affichage numérique est offert (sauf sur le V6) ainsi que de nouveaux enjoliveurs de roue. Mais dans une année de récession économique, les ventes baissent encore de 27%.
Outre l’introduction du HT 4100, qui coïncide avec l’ajout d’un quatrième rapport sur la THM-325, Cadillac ne procède qu’à quelques changements mineurs en 1982 (siège conducteur à mémoire en option, thermomètre extérieur de série et radios améliorées). Malgré des rabais significatifs proposés par la marque, les ventes sont encore en berne, de 30% cette fois-ci.
Une nouvelle grille est installée sur les modèles 1983 et les feux avant sont revus. Une version Full Cabriolet Roof (ou Édition Spéciale Cabriolet au Québec) fait son apparition. Elle comprend un toit en vinyle avec des arêtes et des coutures brodées simulant un toit de cabriolet livrable en quatre couleurs. Un système audio Delco-GM/Bose haut de gamme est ajouté à la liste des options. Deux facteurs vont participer à une remontée des ventes de 52% par rapport à 1982 : une baisse importante du prix de base et une économie nord-américaine qui redémarre.
Nouvelle augmentation de 31% en 1984 alors que les changements sont très réduits (feux arrière redessinés, garnitures intérieures et selleries retravaillées et nouveau catalyseur). Bien que 1985 soit la dernière année sur le marché de la seconde génération, elle parvient à maintenir ses ventes, toujours sans changements significatifs.
Avec du recul, quelle est l’influence de la seconde génération de Cadillac Seville? D’un point de vue du design, le côté néo-rétro de l’auto a été vu par la concurrence comme l’avenir dans le segment du luxe. Difficile de ne pas voir le lien avec les Chrysler Imperial 1981 et Lincoln Continental 1982. Pourtant, après ces trois modèles, l’arrière bustleback passera définitivement à la trappe. Il reste aussi la question du positionnement du modèle. Cadillac a développé une auto certes très technologique mais aussi dotée de tous les attributs traditionnels d’une Cadillac, c’est-à-dire ceux dont la clientèle commence à se détourner. Elle n’a rien pour aller marcher avec assurance sur les plates-bandes des concurrentes européennes (et on ne parle même pas des moteurs…), concurrentes qui ne feront que progresser sur le marché durant cette période. La seconde génération a même réussi à moins bien se vendre que la première. Mais ce n’est encore rien. Le passage à la troisième génération, marquée par un design peu inspirant et des problèmes de qualité, sera commercialement pire! Décidément, les années 80 n’auront pas été faciles pour Cadillac…
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Source : GuideAutoWeb.com, par Hughes Gonnot
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