Ford Granada 1975-1980 : meilleure qu’une Mercedes ?!
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Ford Granada 1975-1980 : meilleure qu’une Mercedes ?!
Alors que les années 70 avancent, les ambitions de Ford dans le segment des véhicules compacts semblent enfler comme un coussin gonflable qui vient d’être activé. En effet, si la mission de la Maverick, lancée pour le millésime 1970, était de battre la Volkswagen Beetle, celle de la Granada 1975 sera de concurrencer… Mercedes-Benz, rien de moins! La Granada et sa cousine Mercury Monarch représentent le triomphe de la forme sur le fond…
Lorsque Ford introduit la Granada le 27 septembre 1974, la marque présente l’auto au Québec comme « un signe d’évolution ». On pourra dire que le signe est timide puisque les soubassements du modèle ont alors 15 ans d’âge. Eh oui, malgré un style contemporain, la Granada repose encore sur le châssis de la première compacte de Ford!
L’oiseau et le cheval
C’est Robert McNamara, alors directeur général de la marque Ford, qui pousse dès 1957 pour la conception d’un modèle compact, capable d’endiguer le succès de Volkswagen en Amérique du Nord. Il veut un véhicule simple, pas cher et pouvant transporter 6 personnes. Pour réduire les coûts de matériaux, les ingénieurs conçoivent une structure monocoque solide et facile à fabriquer, un choix original à une époque où l’essentiel des autos repose sur un châssis séparé. Ford développe aussi pour ce modèle un tout nouveau 6 cylindres en ligne de 144 pouces cubes (2,4 litres). La Falcon est lancée pour le millésime 1960 et rencontrera un grand succès commercial. McNamara quitte Ford le 1er janvier 1961 pour prendre le poste de secrétaire à la Défense du gouvernement Kennedy. C’est un autre personnage important de l’histoire de Ford qui va faire évoluer la Falcon et voir le potentiel de sa plateforme : Lee Iacocca.
C’est lui qui demande des versions mieux équipées, de plus gros moteurs (dont des V8) et des variantes sportives. Lorsqu’il s’agit de développer la Mustang, il choisit la plateforme de la Falcon. Et quand cette dernière est redessinée pour le millésime 1966, la partie châssis n’évolue que très peu, notamment au niveau de la baie moteur, élargie pour accueillir de plus gros V8. À l’instar de la Mustang, les intermédiaires Fairlane (de 1962 à 1970) et Torino (de 1968 à 1971) reposent également sur la structure de la Falcon.
C’est sans surprise que sa remplaçante, la Maverick (présentée en avril 1969 pour l’année modèle 1970), reprend de nouveau les mêmes soubassements, histoire de limiter les coûts. Avec 2,1 millions d’exemplaires produits jusqu’en 1977, l’auto va s’avérer encore une fois un joli succès commercial pour Ford (sans compter les 476 000 Mercury Comet).
L’art d’accommoder les restes
Alors que la Maverick vient tout juste d’être présentée, les planificateurs de Ford commencent déjà à travailler sur sa remplaçante à partir d’octobre 1969. Ils observent une nouvelle tendance avec l’émergence de marques comme Mercedes-Benz, BMW ou Volvo : les compactes de luxe. Jusque-là, parce que nous sommes en Amérique du Nord et que « bigger is better », une voiture de luxe était forcément grosse. Mais l’arrivée des modèles européens commence à changer la donne. Ce sont des véhicules plus petits, mais correctement équipés et offerts à des tarifs plus élevés. Pour Ford, c’est l’opportunité de proposer des modèles compacts mais réalisant des marges plus importantes. Et c’est exactement le genre de concept qui plaît à Iacocca.
Un véhicule de référence est choisi : la Mercedes-Benz 280 sur la plateforme W114 présentée en 1968, qui est en quelque sorte l’ancêtre de la Classe E actuelle. Le développement technique commence au milieu de 1970. Bien évidemment, pas question de concevoir un tout nouveau châssis. Celui de la Maverick 4 portes fera l’affaire, d’autant que son empattement est proche de celui de la berline à l’étoile (2,79 m pour la Ford contre 2,75 m pour la Mercedes). Tout au plus, celui-ci sera élargi pour offrir une meilleure habitabilité. D’ailleurs, ce critère sera mis de l’avant par Ford dans sa documentation, montrant que la Granada est plus logeable que la 280 et presque autant que l’intermédiaire Torino, pourtant 20 centimètres plus longue.
Lee Iacocca suit personnellement l’avancement du projet. Le style est lui aussi fortement influencé par Mercedes-Benz. Iacocca insiste pour que tout soit fait pour que l’auto ait l’air chère. La calandre arbore une ornementation spécifique à la Granada mais pas le logo ovale bleu de Ford (le nom de la marque n’apparaît qu’en lettres). Seul le coupé semble plus américain avec une petite vitre (dite opéra) dans le montant arrière.
Par contre, pour ce qui est des trains roulants, on est loin de la sophistication d’une Mercedes. Les 6 cylindres en ligne 200 pc (3,3 litres, non disponible au Canada en 1975 et 1976) et 250 pc (4,1 litres) viennent en ligne directe du 144 pc de la Falcon 1960, alors que les V8 Windsor de 302 pc (4,9 litres) et 351 pc (5,8 litres) sont étouffés par les systèmes de dépollution (voir tableau des motorisations). La boîte de vitesses de série est une manuelle 3 rapports (sauf sur le 351 pc) tandis qu’une automatique Cruise-O-Matic à 3 rapports est optionnelle. Côté trains roulants, on retrouve une suspension indépendante à l’avant avec des bras de longueurs inégales et essieu rigide monté sur des ressorts à lames à l’arrière tandis que la direction est à recirculation de billes. Les freins sont à disque à l’avant et à tambour à l’arrière alors que les pneus sont radiaux.
Ford dégoupille la Granada
La dénomination Granada est utilisée par Ford Europe depuis 1972 sur un modèle justement chargé de concurrencer les Mercedes W114/W115. Au lancement américain, seuls deux niveaux de finition sont proposés : de base et Ghia (nom d’un carrossier italien racheté par Ford en 1970). La version de base vient de série avec encadrements de vitres chromés, sièges baquets en vinyle, tapis de 12 onces, tableau de bord avec appliques en simili-noyer, boîte à gants verrouillable, tapis de coffre, allume-cigare et deux cendriers arrière (c’est important en 1975!). La version Ghia reçoit quant à elle toit en vinyle, moulures latérales avec bandes de vinyle, garnitures intérieures de luxe, tapis de 22 onces, volant de luxe, rétroviseur jour/nuit, montre à quartz numérique, garnitures extérieures et enjoliveurs distinctifs ainsi qu’une meilleure insonorisation. Les options ne manquent pas, et certaines ne sont pas habituelles dans ce segment : ensemble Décor intérieur, sellerie en cuir (Ghia), climatisation, dégivrage arrière électrique, toit en vinyle, toit ouvrant électrique, freins et direction assistés, roues en aluminium, 4 types de radios, volant en cuir, vitres teintées, vitres électriques, porte-bagages sur le couvercle de coffre ainsi que différentes moulures extérieures. Le prix demandé part de 3 698 USD / 4 360 CAD (2 portes de base 6 cylindres) pour atteindre 4 326 USD / 5 046 CAD (4 portes Ghia V8). La Granada, comme la Monarch, est produite dans deux usines : Mahwah dans le New Jersey et Wayne dans le Michigan.
L’accueil de la presse est mitigé. D’un côté, elle salue l’idée d’amener du luxe dans le segment des compactes, spécialement après le premier choc pétrolier d’octobre 1973 (qui permettra à la Maverick, que devait remplacer la Granada, de tenir jusqu’à la fin du millésime 1977). De l’autre, les prestations routières, les performances et l’économie d’essence n’impressionnent guère. Dans son édition 1975, le Guide de l’auto le confirme : « Il reste que Ford, en lançant la Granada, vient de poser un geste qui pourrait bien lui rapporter d’intéressants dividendes au cours des prochaines années, tout en modifiant la structure du marché de l’automobile en Amérique du Nord. En effet, la Granada est, selon nous, le type même de voiture parfaitement adaptée aux besoins de l’automobiliste d’aujourd’hui… et de demain ». Par contre, l’essai routier d’un coupé à moteur 302 pc s’avère moins élogieux : « La suspension est axée sur le confort et donne lieu à un roulis prononcé en virage. La direction à billes manque aussi de sensibilité et son mouvement à vide nuit passablement à la précision de conduite. Sur mauvaise route, le train arrière s’affole plus que de raison et les roues motrices perdent rapidement leur adhérence. […] La voiture sous-vire énormément dans les virages serrés, mais adopte une attitude plutôt neutre et légèrement survireuse à l’extrême limite en d’autres circonstances. […] Les freins n’ont pas l’endurance que l’on souhaiterait, mais ils sont parfaitement à la hauteur en usage normal. […] L’aspect peut-être le plus décevant de notre essai fut la forte consommation d’essence de la Granada ». Pourtant, la conclusion est positive : « À la lumière de cet essai, on peut conclure que la Ford Granada est une débutante prometteuse qui vient, de façon très adroite, combler un vide dans la production américaine. C’est le parfait compromis entre la grosse et la petite voiture et si l’on parvient à oublier qu’une automobile ne se juge pas à ses dimensions, la Granada pourrait bien marquer le début d’une nouvelle ère à Detroit ». Il reste maintenant à parler de la publicité.
Complètement délirante!
Si la Mercedes-Benz 280 W114 a été utilisée comme véhicule référence, la publicité de Ford va comparer sa compacte avec les modèles germaniques jusqu’à l’obsession. La thématique est toujours la même : elle ressemble à une Mercedes mais elle coûte beaucoup moins cher! Et Ford appuie fort en comparant la Granada non pas à une W114 mais plutôt à une Classe S W116 ou une SLC C107. L’idée, c’est que vos voisins confondent l’américaine avec l’allemande. Parfaitement ridicule mais bien aligné avec le concept de l’auto. Parce que soyons sérieux un instant, est-ce que vous croyez que quelqu’un s’est déjà laissé prendre? Ces publicités risibles ont été jouées sur papier ainsi qu’à la télévision (voir ci-dessous).
Il existe une variante tout aussi farfelue pour le lancement en 1975 : la Granada coûte le prix d’une Golf mais ressemble à une Cadillac Seville, plus de trois fois plus chère. Un argument de vente massue apparemment…
Est-ce la qualité de la communication, le positionnement astucieux de l’auto ou simplement le désespoir post-crise pétrolière des acheteurs, toujours est-il que le duo Granada/Monarch réalise un excellent démarrage avec plus de 400 000 exemplaires produits pour le millésime 1975. Décidément, Lee Iacocca a encore une fois eu le nez creux!
Encore plus « européenne »!
Les changements sont limités pour 1976 et visent surtout à réduire la consommation d’essence (allumage et carburation revus, essieux arrière allongés) et améliorer le confort (nouveaux supports moteur). La banquette avant vient de série et les sièges baquets passent dans la liste des options alors qu’une console centrale (comprenant des voyants de phare allumés, de fermeture des portières et du capot et de faible niveau d’essence) est dorénavant disponible. Le nouvel ensemble Décor de luxe rehausse l’équipement et les garnitures intérieures, ajoute les roues en aluminium et permet d’avoir accès à une peinture deux tons (uniquement sur la Ghia 4 portes). Les ventes augmentent de plus de 46%!
Il n’y a pas grand-chose de nouveau pour le millésime 1977 : boîte de vitesses manuelle à 4 rapports au lieu de 3, nouveaux réglages de sièges baquets, ajout de la climatisation automatique et de l’ouverture électrique du coffre. Au Canada, une version « Édition spéciale » d’entrée de gamme est introduite (environ 200 CAD moins chère). Pour de la vraie nouveauté, il faut aller voir du côté de Lincoln, qui lance la Versailles, une variante huppée très équipée et très chère de la Granada. Le souvenir de la crise pétrolière commence à s’estomper et la production baisse tranquillement (-12,8%) tout en restant au-dessus des 500 000 exemplaires.
L’année modèle 1978 apporte un lot d’évolutions significatives. Esthétiquement, la calandre est revue et intègre maintenant des phares rectangulaires, les feux arrière sont redessinés tandis que la vitre arrière des coupés incorpore une séparation. Techniquement, les blocs 200 et 351 pc disparaissent. Cependant, la principale nouveauté est l’apparition d’un troisième niveau de finition à tendance plus « sportive » baptisé ESS (European Sport Sedan), disponible en 2 et 4 portes. Elle comprend des éléments de finition extérieurs ainsi que la calandre noirs, une suspension renforcée, des pneus de 14 pouces, une meilleure insonorisation, des enjoliveurs de roues couleur carrosserie et des sièges baquets avec appuie-têtes de style européen (c’est bien précisé dans les catalogues). Si l’ambiance est rehaussée, le moteur de base reste le 6 cylindres en ligne 250 pc. Pour la saveur sport, on repassera… Pourtant, avec le V8 optionnel et la boîte manuelle à 4 rapports, on peut avoir quelques sensations. C’est ce que confirme le Guide de l’auto dans son édition 1978 : « Le comportement routier de la Granada a été nettement amélioré depuis deux ans. Surtout avec la suspension renforcée qui équipait notre ESS, la voiture est beaucoup moins sous-vireuse. Elle s’accroche mieux à la route et les pneus ceinturés d’acier y sont sans doute pour quelque chose. […] Chose surprenante pour une voiture américaine à moteur V8, le levier de la boîte se manie aisément et la pédale d’embrayage n’est pas trop raide. Avec une bonne synchronisation et des rapports bien étagés, la ESS est assez agréable à conduire avec un temps d’accélération de 13 s entre 0 et 100 km/h et une consommation très raisonnable de 20 milles au gallon (une autre époque… NDLA) ». Par contre, la direction ne donne aucune sensation, les freins manquent d’endurance et le tableau de bord est jugé très banal avec une instrumentation déficiente. Bref, elle n’a d’euro que le nom et elle aurait plutôt dû s’appeler American Sport Sedan, mais ASS en anglais, ça sonne nettement moins bien!
Rusé comme un renard!
Malgré tout cela, la production baisse de 34,2%. La raison principale est la concurrence interne des remplaçantes des Maverick/Comet, les Ford Fairmont et Mercury Zephyr qui reposent sur la toute nouvelle plateforme Fox (qui servira également de base à la Mustang 1979). Nettement plus modernes, ces dernières réalisent un démarrage canon avec plus de 600 000 exemplaires fabriqués la première année. À partir de là, les modifications sont mineures pour les millésimes 1979 et 1980.
Les ventes dévissent : -24,4% en 1979 et -53,2% en 1980. La faute est en partie attribuée au second choc pétrolier. Si la Granada était jugée plus ou moins économique en 1975, ce n’est plus le cas au début de la nouvelle décennie. La Granada est remplacée par une seconde génération en 1981 alors que la Zephyr devient Cougar dans un tour de passe-passe un peu compliqué qu’il faudra raconter une autre fois. Ces modèles sonnent enfin le glas pour le châssis de la Falcon car ils reposent sur la plateforme Fox. Leur carrière sera de courte durée, seulement deux ans.
Si la Mercury Monarch (qui reprend le nom d’une marque commercialisée au Canada par Ford entre 1946 et 1961) a été peu mentionnée dans ce texte, c’est qu’elle présente la même gamme (2 et 4 portes, versions base et Ghia) à son lancement et connaîtra essentiellement les mêmes évolutions (y compris la ESS). L’exception la plus notable sera l’apparition en 1976 d’une variante Grand Monarch faisant écho à l’introduction en 1975 de la Grand Marquis. Cette version offrira de série de nombreux équipements proposés par ailleurs en option (dont les roues en aluminium et même les rarissimes freins à disque aux quatre roues). La Grand Monarch disparaîtra dès 1977 pour laisser la place à la Lincoln Versailles.
Produites à plus de 2,2 millions d’exemplaires, les Granada/Monarch ont été un succès commercial et financier pour Ford. Pourtant, elles sont rapidement tombées en désuétude et en voir aujourd’hui une sur la route ou dans des expositions d’autos anciennes relève de l’exceptionnel. Ah, si seulement elles avaient été construites comme des Mercedes-Benz…
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Source : GuideAutoWeb.com, par Hughes Gonnot
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