Lincoln Continental Mark III : l’excès, c’est vendeur !
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Lincoln Continental Mark III : l’excès, c’est vendeur !
À l’époque, les journalistes automobiles ont trouvé la Continental Mark III « décevante » ou bien « excessive ». Pourtant, grâce à son succès commercial, elle a quasiment sauvé Lincoln à elle seule.
Le nom Continental est évoqué pour la première fois au lancement d’un cabriolet haut de gamme en octobre 1939. Initialement dessiné pour être le véhicule personnel d’Edsel Ford, il passera à l’histoire comme l’un des designs les plus importants du 20e siècle. Il ne passera par contre pas dans les annales comptables de Ford, chacun des 5 324 exemplaires produits entre les millésimes 1940 et 1948 perdant de l’argent.
Cela ne décourage pourtant pas les dirigeants de Ford de retenter l’aventure dans les années 50. La division Continental est créée en 1952 pour aller marcher directement sur les plates-bandes de Cadillac. Elle est dirigée par William Clay Ford, l’un des trois fils d’Edsel Ford. Dotée d’une fausse roue de secours à l’arrière (le fameux Continental kit), la Mark II est lancée pour le millésime 1956. Longue (5,55 mètres), lourde (2 251 kilos) et chère (9 695 USD, soit plus du double d’une Lincoln de base), elle ne sera produite qu’à 3 000 exemplaires en deux ans. Elle s’avérera un gouffre financier.
Quelle différence y a-t-il entre une Mark III et une Mark III ?
La division Continental est ramenée au sein de Lincoln en 1956. Avec la disparition de la Mark II, le nom Continental devient une version haut de gamme des Lincoln 1958. Dotée d’une vitre arrière inversée (et descendante) pour se distinguer, elle prend alors le nom de Mark III. La division Continental est dissoute en 1958 mais les modèles continuent : Mark IV pour 1959 et Mark V pour 1960. En 1961, Lincoln dévoile un tout nouveau style, beaucoup plus épuré et élégant tandis que la gamme est simplifiée : il ne reste plus que la Continental.
Si le nouveau modèle est esthétiquement réussi, il ne fait pas progresser les ventes et Cadillac demeure le leader incontesté du marché du luxe dans les années 60 (voir chiffres ci-dessous). Le problème, c’est qu’avec des volumes aussi faibles, la marque n’arrive pas à être rentable. Il va falloir trouver une solution. Elle viendra du développement du segment des coupés de luxe dans les années 60 (Buick Riviera, Oldsmobile Toronado et Cadillac Eldorado), suite au lancement de la Ford Thunderbird 4 places en 1958. Et un nom s’imposera rapidement : Mark III, les dirigeants de Lincoln choisissant délibérément de faire passer les modèles 1958, 1959 et 1960 à la trappe.
La légende
Comme souvent pour les modèles qui laissent une « Mark » dans l’histoire d’un constructeur, il s’agit d’abord et avant tout de la vision d’un homme. Dans son autobiographie publiée en 1984, Lee Iacocca raconte l’anecdote suivante :
« Un soir, alors que j’étais au Canada pour une réunion, j’étais allongé dans mon lit dans ma chambre d’hôtel, incapable de dormir. Soudain, j’ai eu une idée. J’ai passé un coup de fil à Gene Bordinat, notre styliste en chef. "Je veux mettre une calandre de Rolls-Royce sur le devant d’une Thunderbird" lui ai-je dit. À l’époque, nous avions une Thunderbird à quatre portes qui se languissait sur le marché. Mon plan était de créer une nouvelle voiture utilisant la même plate-forme, le même moteur et même le toit, mais d’apporter suffisamment de modifications pour que la voiture ait vraiment l’air neuve et non d’une T-Bird remaniée.
Alors que j’essayais d'imaginer cette nouvelle voiture de luxe, je me suis souvenu d’un modèle précédent. À la fin des années 1930, Edsel Ford avait produit la Mark, une voiture de luxe silencieuse et discrète qui plaisait à un public averti. Au milieu des années 1950, son fils William Clay avait construit la Mark II, un dérivé de la Mark originale. Ces deux modèles étaient des classiques, la Rolls-Royce des automobiles américaines. C’était le genre de voiture dont la plupart des gens rêvaient, mais que seuls quelques privilégiés pouvaient se permettre.
Nous avons sorti la Mark III en avril 1968 et, dans sa toute première année, elle s’est vendue plus que la Cadillac Eldorado, ce qui avait toujours été notre objectif à long terme. Les cinq années suivantes ont été extrêmement profitables, en partie parce que la voiture avait été développée à bon marché. Nous l’avions faite pour 30 millions de dollars, car nous avions pu utiliser des pièces existantes. Avant la Mark III, la division Lincoln-Mercury perdait de l’argent sur chaque voiture de luxe. Nous ne vendions qu’environ 18 000 Lincoln par an, ce qui n’était pas suffisant pour amortir les frais fixes. »
Une bien belle histoire, presque un conte de fées, mais Iacocca s’est un peu trompé avec le calendrier.
La réalité
Lincoln vend alors au moins 40 000 voitures par an mais n’arrive effectivement pas à être rentable. Une chose est sûre : Lee Iacocca, à ce moment vice-président responsable du groupe automobiles et camions de Ford, est bel et bien le père spirituel de la Mark III. Comme avec la Mustang quelques années plus tôt, c’est lui qui identifie un segment de marché pour Lincoln dans les coupés de luxe, avant même que l’Eldorado ne soit présentée.
L’idée est de donner une sœur huppée à la Thunderbird, qui doit être renouvelée pour 1967 et recevoir une nouvelle version 4 portes, afin de partager un maximum de composants. La planification démarre en septembre/octobre 1965, soit un an avant que la T-Bird 1967 ne soit lancée sur le marché (où elle ne languira pas tant que ça). L’ingénieur en chef du projet est Bertil Andren et le designer responsable est L. David Ash, sous la direction de Gene Bordinat.
Ash nommera initialement l’auto « Lancelot », comme le personnage de la légende arthurienne. Il réalise d’élégantes maquettes en argile mais Iacocca trouve qu’elles manquent de punch. Et c’est effectivement lui qui va suggérer la grille de Rolls-Royce à l’avant, une idée qui va laisser une empreinte indélébile chez tous les constructeurs américains dans les années 70. La grille n’est pas une exacte copie de Rolls mais elle coûte très cher à produire (autour de 200 $). Iacocca poussera aussi pour l’ajout de la fausse roue de secours à l’arrière et l’utilisation de portes spécifiques pour avoir les bonnes proportions. Le capot, mesurant 6 pieds, est le plus long jamais monté sur une auto américaine. En fin de compte, tous les panneaux extérieurs, sauf le toit, seront uniques à la Lancelot qui devient rapidement Continental Mark III (le nom du modèle initial est Continental et non pas Mark). Le style final est approuvé le 24 mars 1966.
Par contre, presque tout ce qui ne se voit pas est partagé avec la Thunderbird (soubassements, panneaux intérieurs, cloison pare-feu, support de planche de bord…), y compris le châssis séparé, qui provient de la 4 portes (117,2 pouces d’empattement contre 115 pouces pour la 2 portes). Il s’agit d’un changement important puisque, depuis 1958, la T-Bird utilisait une construction monocoque. Les deux autos seront fabriquées sur les mêmes chaînes de montage de l’usine de Wixom, dans le Michigan, mais la Lincoln bénéficiera d’attentions spéciales (plus de matériaux insonorisant, polissage supplémentaire de la peinture, contrôles de qualité additionnels, tests routiers sur 20 kilomètres).
Une super T-bird
La Continental Mark III est présentée à la presse en mars 1968 et arrive en concessions en avril de la même année, ce qui correspond à une introduction de mi-millésime. Ford les considèrera comme des modèles 1969 et c’est seulement à cette condition que la Lincoln battra la Cadillac en termes de ventes (pourtant, la marque fournit des chiffres séparés entre 1968 et 1969, voir ci-dessous, allez comprendre…).
Par rapport à la Thunderbird, la Mark III est plus longue (5,49 mètres contre 5,33), plus lourde (2 152 kilos contre 2 024) et reçoit un V8 460 pc (7,5 litres) au lieu d’un 429 pc (7 litres). La puissance s’établit à 365 chevaux à 4 600 tr/min et le couple à 500 lb-pi à 2 800 tr/min grâce à un taux de compression de 10,5:1 et un carburateur Autolite à 4 corps. La seule boîte disponible est une automatique C6 à 3 rapports.
Avec un prix de vente de 6 585 $ aux États-Unis et de 8 682 $ au Canada, vous obtenez la direction assistée, les vitres et sièges électriques, l’échappement double, des sièges en nylon, des accoudoirs centraux, une finition en faux bois, un système de contrôle des phares arrière (des voyants installés sur la plage arrière). Si vous souhaitez l’intérieur cuir, la radio AM-FM ou cassette, la climatisation automatique, le régulateur de vitesse, le volant ajustable en hauteur ou le toit en vinyle, il faudra payer un supplément.
L’accueil de la presse spécialisée est plus que tiède. Elle ne voit en la Mark III rien d’autre qu’une T-Bird endimanchée. Pourtant, elle trouve rapidement sa place sur le marché. En combinant les millésimes 1968 et 1969, elle réalise 28,5% de la production de Lincoln, et ce, en dépit d’une introduction tardive. Les différences entre les modèles 1968 et 1969 sont mineures.
Une carrière courte mais prospère
C’est pour le millésime 1970 que la Mark III reçoit des changements significatifs. À l’extérieur il y a de nouveaux choix de couleurs, le toit en vinyle vient désormais de série, les feux arrière sont modifiés, des enjoliveurs de roue exclusifs sont installés, les essuie-glaces sont dorénavant dissimulés et un toit ouvrant est disponible pour la première fois (une option tràs rare). À l’intérieur, un placage en noyer véritable remplace le faux bois, les garnitures et les sièges sont revus, il y a un nouveau volant et une montre Cartier de série. Si le moteur et la transmission n’évoluent pas, le coupé Lincoln est la première auto américaine à bénéficier de pneus radiaux de série.
La Mark III reçoit aussi en équipement standard un antiblocage de freins Sure-Track (c’était une option en 1969). Il s’agit d’un système mécanique qui fonctionne uniquement sur les roues arrière et ajuste la pression de freinage 3 à 4 fois par seconde jusqu’à ce que l’auto atteigne une vitesse réduite ou bien que le conducteur relâche la pédale de frein. L’essai routier de 20 km est remplacé par un passage sur un simulateur à l’intérieur de l’usine. Les prix montent à 7 281 $ aux États-Unis et 8 995 $ au Canada. Cela n’empêche pas le modèle de voir ses ventes progresser et réaliser 36,25% de la production de Lincoln (et ce, malgré l’introduction de la nouvelle gamme Continental).
La grille de calandre est très légèrement modifiée pour le millésime 1971. Les sièges avant adoptent des dossiers hauts alors que la climatisation et les vitres teintées passent en équipement standard. Les prix connaissent une hausse significative (8 421 $ aux États-Unis et 9 950 $ au Canada) mais cela ne ralentit absolument pas le succès du modèle pour représenter 43,25% de toute la production de la marque.
La Mark III laissera aussi sa marque dans la culture en apparaissant dans la série Cannon et en servant de base à la voiture du film The Car (Enfer mécanique) - une préparation de George Barris. Mais son rôle le plus célèbre restera certainement celui de mule dans le film French Connection (La filière française), sorti en 1971 avec en vedette Gene Hackman.
Et ce n’est qu’un début!
La dernière Continental Mark III sort de l’usine de Wixom le 12 juin 1971. Le site commence alors à se préparer à la production de la Mark IV, qui reprendra les mêmes principes que sa prédécesseure (style outrancier, calandre à la Rolls-Royce, technique et production jumelée à la Thunderbird).
Ce modèle connaîtra un énorme succès, les Mark devanceront systématiquement l’Eldorado dans les années 70, Lincoln verra une croissance régulière de ses ventes (allant jusqu’à surpasser Cadillac pour la première fois en 1988) et Lee Iacocca pourra ajouter un autre nom à la liste de ses succès personnels. Mais ceci est une autre histoire…
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Source : GuideAutoWeb.com, par Hughes Gonnot
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