Continental Mark II 1956-57: ne l’appelez pas Lincoln !
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Continental Mark II 1956-57: ne l’appelez pas Lincoln !
La mission de cette nouvelle voiture capable de concurrencer Rolls-Royce était d’établir Ford dans l’atmosphère raréfiée des marques de luxe et de payer hommage à la création d’Edsel Ford, fils du fondateur. Finalement, la Mark II sera un échec commercial mais aussi un drame personnel dans la famille Ford.
La première Lincoln Continental est un projet porté par deux hommes : Edsel Ford, fils d’Henry Ford et président de la compagnie, et Eugene Turenne Gregorie, directeur du design depuis 1935. Si l’auto n’est produite qu’à 5 324 exemplaires entre les millésimes 1940 et 1948 (avec l’interruption de la Seconde guerre mondiale de 1942 à 1945) et ne génère aucun profit pour Ford, elle marquera les esprits par un style d’une élégance rare (elle sera l’une des seulement 7 autos exposées au musée d’art moderne de New York en 1951).
Un produit spécial
Quand vient pour Ford, Lincoln et Mercury le temps de lancer les premiers nouveaux modèles d’après-guerre pour l’année modèle 1949, plusieurs remarquent que la Continental n’a pas été renouvelée. Il y a essentiellement deux raisons à cet « oubli » : le véhicule a perdu ses deux ardents défenseurs (Edsel Ford est décédé en 1943 et Gregorie a quitté Ford en 1946) et Ford est dans une situation tellement précaire à ce moment que la direction choisit de se concentrer sur des modèles rentables et non pas porteurs d’image.
Pourtant, dès la fin du conflit, plusieurs designers essayeront de faire revivre le nom. Une tentative ira même jusqu’à une maquette pleine grandeur pour le millésime 1949, mais rien n’ira plus loin pour cause de cordons de la bourse très serrés. Le concept Continental 195X, présenté en 1952, fera renaître l’espoir des aficionados mais son influence se fera surtout sentir dans le style des modèles Ford (y compris la Thunderbird) de 1955 (il sera d’ailleurs renommé Ford X-100).
Début 1952, la situation a changé. Ford a retrouvé la forme financière et sa direction commence à rêver de tailler des croupières à General Motors et, pourquoi pas, prendre la première place du marché. Au mois de juin de cette année-là, le rapport de la commission Davis (sous la houlette de John Davies, directeur des ventes) fait deux recommandations principales. La première est de renforcer la position de Ford dans le segment des modèles de gamme moyenne (ce qui, ultimement, amènera à la création de la marque Edsel pour le millésime 1958). La seconde est de faire revivre la Continental comme véhicule image afin de faire savoir qu’il y a un produit Ford pour toutes les tailles de portefeuille. Pour Henry Ford II (en photo ci-dessous avec ses deux frères), président de la compagnie depuis septembre 1945, c’est aussi une façon de rendre hommage à son père. En juillet 1952, le groupe Special Products Operation est créé (il deviendra plus tard le Special Products Division avant d’être renommé Continental en 1955) pour développer ce nouveau modèle.
Le projet à Bill
S’il y a une personne à l’intérieur de la Ford Motor Company qui souhaite la renaissance d’une Continental, c’est William Clay Ford, dit Bill. Bill Ford est le dernier des quatre enfants d’Edsel Ford et il a hérité des intérêts pour l’art et le design de son père. Parmi ses premiers souvenirs, il est dans le bureau de ce dernier en train de le voir réaliser des aquarelles. Rien ne pouvait faire plus plaisir à Bill que de rendre hommage à Edsel Ford en réinventant la Continental. C’est pourquoi, lorsqu’Ernest Breech (vice-président de la FoMoCo) lui proposera de prendre la tête de la division Continental, il embarquera dans le projet avec une dévotion quasi religieuse.
Bill Ford est bien entouré. Le designer en chef est John Reinhardt, qui a précédemment travaillé pour GM, Packard et les studios de Raymond Loewy (qui signera plusieurs Studebaker, dont le coupé Avanti). Il sera assisté par Bob Thomas. L’ingénieur en chef est Harley Copp. Après la Mark II, il travaillera entre autres sur la Falcon de 1960, la GT40, le moteur de Formule 1 Cosworth DFV et la Pinto de 1970. Face à l’attitude « dilettante » de Ford en matière de sécurité, il démissionnera pour devenir consultant en sécurité et collaborera avec Ralph Nader. L’ingénieur en chef pour le châssis est Harold Johnson tandis que celui chargé de la carrosserie n’est autre que Gordon Beuhrig. Ancien designer, il a notamment signé les lignes des Cord 810/812, un autre modèle exposé au musée d’art moderne de New York en 1951. Il travaillera chez Ford de 1949 à 1965. Tous ces gens sont installés dans les anciens locaux de la Henry Ford Trade School. Parce que la division est physiquement séparée des autres locaux et bénéficie d’une grande autonomie, le bâtiment est rapidement surnommé le Country Club.
L’attention aux détails
Le but initial de la division Continental est de créer une rivale aux meilleures voitures du monde. Le coût n’est pas un problème et perdre de l’argent ne dérange alors pas beaucoup de gens. Le point va avoir son importance dans la suite de l'histoire. Pour le moment, il faut commencer par développer le style de l’auto. Ce n’est pas nécessairement une chose facile car il faut faire le lien avec la Continental originale tout en ayant un style contemporain mais indémodable. Rien que ça! Reinhardt et son équipe vont y passer quelques nuits blanches. En décembre 1952, la direction de Ford, Henry Ford II en tête, assiste au dévoilement des premières maquettes. Henry n’aime pas du tout. Bill écrira une longue lettre pour défendre le style choisi. Finalement, la décision est prise de réaliser une compétition entre le studio Continental et quatre autres équipes. La présentation aura lieu en avril 1953. Chaque équipe soumettra anonymement 5 vues de son projet, toutes étant bleu Honolulu. Les croquis de Reinhardt seront choisis à l’unanimité. Ils intègrent bien évidemment une forme de roue de secours dans le coffre arrière, signe distinctif du modèle de 1940.
Pour préserver les lignes basses de la voiture, un nouveau châssis est développé. Par rapport aux châssis classiques de Lincoln, les rails sont poussés vers l’extérieur entre les roues, ce qui permet d’installer les sièges plus bas. Les longerons de renfort en forme d’échelle rendent l’ensemble 30% plus rigide que les Lincoln de série qui bénéficient de longerons en X. Les suspensions sont essentiellement celles de Lincoln 1956.
Toujours dans l’idée de garder l’esprit du modèle original, un moteur V12 est un temps envisagé mais, histoire de rester un tant soit peu rationnel, le V8 Lincoln est ultimement sélectionné. Ce qui n’est pas un mauvais choix puisqu’il s’agit d’un tout nouveau bloc pour 1956. D’une cylindrée de 368 pouces cubes (6,0 litres), il développe 285 chevaux à 4 600 tr/min et 402 lb-pi à 3 000 tr/min. Voici, tirée du catalogue de 1956, une comparaison entre le nouveau modèle et l’original.
La différence pour les moteurs de la Mark II, c’est qu’ils sont usinés avec des tolérances plus faibles, inspectés avec soin et chaque bloc est individuellement testé sur un dynamomètre. La transmission est une automatique Turbo-Drive à 3 rapports, utilisée chez Lincoln depuis l’année précédente.
L’attention à la qualité ne s’arrête pas aux moteurs. Les châssis sont scrupuleusement contrôlés et balancés. Chaque panneau de carrosserie est ajusté précisément sur un gabarit. Chaque couche de peinture est sablée à la main et toute la voiture est polie avant livraison. Les chromes sont trois fois plus épais que les standards établis par la SAE (Society of Automotive Engineers, Société des ingénieurs de l’automobile). Plusieurs vis sont chromées, y compris là où cela ne se voit pas. À l’intérieur, même histoire. Les cuirs (optionnels) viennent de Bridge of Weir, en Écosse, ou bien du Danemark pour leur qualité supérieure. Ils sont teints par immersion dans des cuves et non pas par vaporisateur pour obtenir une coloration plus profonde et plus durable. Durant tout le processus de production (dans une toute nouvelle usine, construite pour la division à Allen Park, dans le Michigan), les contrôles de qualité sont multiples. Chaque voiture est ensuite testée sur un circuit routier avant d’être placée dans une couverture molletonnée et un gigantesque sac en plastique pour la livraison. Les Mark II arrivent en concession prêtes à être remises aux clients. Il ne reste plus qu’à installer les enjoliveurs et la plaque d’immatriculation.
Évidemment, l’équipement n’est pas en reste. Tout ou presque est de série : direction et freins assistés, sièges électriques, verrouillage central, radio AM, capitonnage intégral de l’intérieur et du coffre, instrumentation complète, horloge électrique et échappement double. La seule véritable option (hors accessoires) est l’air conditionné. Tout ceci a un prix : 9 966 USD. En comparaison, une Lincoln Capri de base coûte 4 119 USD et une Lincoln Premiere cabriolet, le sommet de la gamme, 4 747 USD. Le pire, c’est qu’à ce prix, Continental perd environ 1 000 dollars par auto. Autant dire qu’il va falloir travailler pour convaincre les acheteurs.
Exclusive… trop exclusive…
Bill Ford (en photo ci-dessous) dévoile les plans de la société à la première réunion du Lincoln Continental Owners Club en octobre 1954. Puis, la voiture est officiellement présentée le 6 octobre 1955 au Salon de l’auto de Paris, histoire de lui donner davanatge de cachet. Ensuite, de nombreuses soirées sont organisées un peu partout à travers les États-Unis pour des invités sélectionnés sur le volet. L’auto est également montrée au Ed Sullivan Show.
Les premiers mois de ventes sont bons. Mais après les 1 500 premiers exemplaires, les chiffres chutent. Les voitures restent collées sur les tapis des concessions et des rabais, parfois importants, sont accordés… ce qui a pour conséquence de profondément agacer les premiers acheteurs.
L’ambiance a tourné chez Ford. Finis les dépenses illimitées pour générer de l’image. La compagnie a réalisé son introduction en bourse en janvier 1956 et pour la direction il n’est pas question d’aller à la première assemblée générale des actionnaires avec une division entière qui perd de l’argent. Les plans de développement de la marque sont arrêtés. Ils comprenaient une berline 4 portes (au style très avancé) et un cabriolet. Un cabriolet à capote classique est officiellement fabriqué par Derham Body Company à des fins promotionnelles. Il sera ensuite donné à la femme de Bill Ford, Martha Firestone, petite fille du fondateur du fabricant de pneus. Un autre sera construit par Hess & Eisenhardt. La conception d’un cabriolet à toit rigide avait également été entamée, sous la houlette de John Hollowell. Les plans seront recyclés pour les cabriolets Ford Skyliner, produits de 1957 à 1959. Quant à la berline 4 portes, plusieurs estiment qu’elle aurait dû être lancée en premier car le marché était clairement orienté vers ce type de carrosserie. Mais la 2 portes a été présentée en premier pour la simple raison que le modèle original avait 2 portes… Cependant, Cadillac tentera l’aventure du très haut de gamme en 1957 avec un modèle 4 portes (l’Eldorado Brougham, vendue 13 074 USD) qui connaîtra encore moins de succès.
Le millésime 1956 se termine avec seulement 2 556 exemplaires produits (les chiffres diffèrent selon les sources). La division Continental est réintégrée avec Lincoln. Pire, la direction sait déjà qu’il n’y aura pas de modèle 1958 car la décision a été prise de passer à la construction monocoque pour les Lincoln et les Thunderbird. Pour Continental, cela signifierait un tout nouveau modèle après seulement deux ans de présence sur le marché. Pour Bill Ford, c’est une douche glacée. Le projet dans lequel il avait mis tout son cœur est un échec et Henry n’a rien fait pour l’aider. Il sait que son avenir chez Ford est très limité. Il nourrira beaucoup de ressentiments envers la compagnie et son frère aîné et sombrera tranquillement dans l’alcoolisme pour une période d’environ 10 ans.
Un épilogue triste (?)
Le millésime 1957 ne comprend logiquement que des changements mineurs. Le V8 voit son taux de compression passer de 9,0:1 à 10,0:1. La puissance augmente à 300 chevaux à 4 800 tr/min et la couple à 415 lb-pi à 3 000 tr/min. La boîte automatique est modifiée alors que le châssis est simplifié. De nouvelles couleurs font leur apparition. La dernière Continental sort de l’usine en mai 1957 après seulement 444 exemplaires pour l’année modèle.
La division est rapidement dissoute. La compagnie a d’autres chats à fouetter et prépare le lancement de sa nouvelle marque de moyenne gamme Edsel pour le millésime 1958. Mais le nom Continental est associé pour 1958 au haut de gamme chez Lincoln et porte la dénomination de Mark III. Les modèles 1959 s’appelleront Mark IV et les 1960 Mark V. Ils seront plutôt mal reçus et Lincoln passera à deux doigts de l’échafaud pour être sauvée in extremis par les modèles 1961 au design très réussi.
Bill Ford est promu en 1957 comme président du comité de design, un emploi plus honorifique qu’autre chose qu’il occupera pourtant jusqu’en 1989. Ce qui va le sauver de l’alcoolisme, c’est son poste de président de l’équipe de football des Detroit Lions à partir de 1961. Suite à un désaccord entre actionnaires, il en deviendra le seul propriétaire à partir de 1963. Là, il pourra gérer ses affaires comme il l’entendra, sans être dans l’ombre de son frère Henry. Il restera cependant au comité de direction de Ford jusqu’en 2005 et aura eu la satisfaction de voir son fils, William Clay Ford Jr, occuper le rôle de PDG de la compagnie à partir d’octobre 2001. Il décédera en mars 2014, 5 jours avant ses 89 ans.
Quand viendra le temps, en 1969, d’introduire sur le marché un coupé haut de gamme, l’épisode 1958-60 sera délibérément oublié et l’auto prendra le nom de Continental Mark III, en lignée directe avec les modèles 1956-57 (qui figureront d’ailleurs sur certaines brochures des modèles plus récents). Suivront les Mark IV, Mark V et jusqu’à Mark VIII. Si la Mark II a été un échec cuisant, elle aura eu le mérite de servir de fil rouge pour les décennies futures et la création de modèles qui, eux, dégageront des profits substantiels. C’est déjà ça de pris…
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Source : GuideautoWeb.com, par Hughes Gonnot
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Re: Continental Mark II 1956-57: ne l’appelez pas Lincoln !
Belle réplique, ça doit être un modèle de Sunstar.
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Re: Continental Mark II 1956-57: ne l’appelez pas Lincoln !
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C'est un Road Signature de Yatming.
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